Extrait de "La République de Seine-et-Marne;" du 04/05/98


15.000 jeunes "ravers" ont pataugé durant trois jours et quatre nuits pour la prmière "TECHNO-VAL 98". Une concentration techno à l'echelle européenne qui a provoqué un certain émoi autour des Ecrennes et de Pamfou.

Eurorave : quinze mille jeunes dans la gadoue

     
Vent de panique à partir de jeudi soir, sur le secteur des Ecrennes et de Pamfou canton du Châtelet) avec l'arrivée surprise de la plus grande rave party de l'histoire de la Seine-et-Mame. En entendant passer les convois de véhicules sur leurs petites routes, d'ordinaire si tranquilles, beaucoup de riverains ont cru à un quelconque accident et à la mise en place d'une gigantesque déviation. Au matin, la rumeur de l'implantation de la Technoval 98 se précisait avec l'image des centaines de voitures garées en bordure des sous-bois longeant le T.G.V. à proximité du lieu-dit Le Charme. Autre image forte en cette première matinée, celle de centaines de jeunes gens sortant des bois, en costume de boue l'air hagard après une première nuit passée à sauter devant des haut-parleurs sur-puissants.
      Des raves, on a déjà beaucoup parlé dans nos colonnes, la Seine-et-Mainne semblant intéresser de plus en plus les organisateurs des grands messes techno. Les étendues désertes, ces " no man's land " en techno culture, les friches industrielles qui peuvent servir de point de chute en cas d'intempéries, constituent les raisons essentielles de cette attirance. Une attirance qui, chaque week-end, mobilise de nombreux effectifs de gendarmerie prêts à une partie de jeu de piste avec les organisateurs.
Dans la nuit de jeudi à vendredi, c'est vers deux heures du matin que s'organisait la convergence. Imparable, apparemment, puisque le point de chute était une zone de sous-bois et de prairies sans aucun bâtiment à proximité.
      Cette Technoval 98, organisée à l'échelle européenne, était prévue depuis un an, organisée depuis quatre mois et sa destination finale, connue depuis quelques heures seulement. En dépit de cette " signalétique " tardive, les " ravers ", attirés par le très long pont du 1er mai et concentrés autour de Paris, arrivaient de partout : des quatre coins du pays, d'Angleterre, d'Allemagne, des Pays-Bas, du Danemark, d'Italie. Si beaucoup sont venus en voitures, d'autres avaient fait cause commune dans des bus. Les plus courageux, venus en train, ont même rallié les lieux de concert à pied depuis les gares de Melun ou Fontaine-le-Port.
      Sur place, sous l'effet de la pluie et du nombre, les choses tournaient rapidement à la catastrophe géologique. Cinq mille, puis dix mille et enfin quinze mille jeunes pataugeant dans un incroyable bourbier. D'importantes coupes de bois étaient utilisées pour renforcer les voies d'accès. En vain, beaucoup de camions s'enlisaient jusqu'aux essieux (Les propriétaires du site ont d'ailleurs déposé plainte).
      De leur côté, les gendarmes de la compagnie de Melun, placés sous les ordres du capitaine Ignatovitch, tentaient de maintenir un semblant d'organisation, notamment en garantissant des itinéraires d'accès en cas d'éventuels envois de secours. Un mauvais week-end pour eux. Au cours de ces trois jours, au demeurant fort pacifiques, on devait déplorer " seulement " deux overdoses (non mortelles) : l'utilisation de l'ecstasy et du L-S.D. étant largement répandue à l'intérieur de l'enceinte informelle. Sur le site, plusieurs scènes sonos diffusant de la musique binaire devant des groupes de " ravers " éparses et souvent complètement hallucinés, aussi bien par l'ecstasy que par le rythme des " B.P.M. " (beats per minute) et par la puissance du son.
      Les habitants de Valence, aux premières loges à plus de trois kilomètres, ont eu du mal à fermer l'oeil. Une impression de petit Woodstok, la convivialité et la fraternité en moins. Infatigables, malgré la pluie, le froid, la boue, les jeunes gens de 20 à 25 ans avec parfois même des enfants en bas âge se sont accrochés au site, sans montrer l'intention de lever le siège. Dimanche soir, d'innombrables feux dé camp, attendaient les dernier irréductibles pour une quatrième nuit techno entre les tas d'ordures et les véhicules embourbés. La grande nouba continue aujourd'hui lundi et certainement mardi, même si les gendarmes "incitent" les participants à lever le camps.
      On ne peut plus accéder en voiture sur le site, mais apparemment, rien n'empêche ces marcheurs infatigables à venir à pied. dimanche après midi, ils n'étaient plus que 5000 environ autour de ce "rave" collectif.


Visite guidée avec John des "Furious"

      Un hamac, une gazinière, un réfrigérateur, un coin salon, une table, des fauteuils, le tout posé sur des roues et propulsé par un moteur. John et son groupe, le sound system " Furious " vivent dans un bus entièrement aménagé. Un bus est bien plus confortable que les fourgonnettes de la gendarmerie, tant et si bien que le capitaine Igniatovitch, commandant de la compagnie de Melun, y a installé, avec l'autorisation de son hôte, son P.C.
      John est âgé d'une vingtaine d'années. Depuis quatre ans et demi, avec le sourd system " Furious ", il parcourt la France entière et se rend de plus en plus souvent à l'étranger, pour participer à toutes les rave-parties. Il s'informe sur le lieu de ces manifestations grâce à un système de tracts, puis de messages codés diffusés sur Internet ou par certaines radios.
      Le Technoval, qui se déroule actuellement aux Ecrennes, est bien plus qu'une rave-party. C'est une manifestation qui a lieu environ trois fois par an. Une sorte de festival à la Woodstock qui existe depuis 5 ans.
      Jusqu'au dernier moment, le lieu du Technoval a été tenu secret. Il devait se tenir en Normandie. John, qui a vécu toute son adolescence à Bourron-Marlotte, était à Bordeaux lorsqu'il a finalement appris qu'il se déroulait aux Ecrennes. Ni une, ni deux, avec les " Furious " il a remballé tout son matériel sono et pris le volant de son bus.
      Mais lorsqu'il est arrivé, les gendarmes lui ont interdit le passage. La plupart des véhicules étaient embourbés, et son bus trop volumineux. Il aurait bloqué le passage aux secours.
      Résultat: il s'est garé à côté du barrage et a transporté son matériel à pied. Une solution, qui, finalement, satisfait John, car son bus est sous bonne garde. Le contact s'est d'ailleurs rapidement établi avec les 24 gendarmes qui sont sur le terrain. Pourquoi simplement 24 gendarmes, alors que samedi soir, 15.000 raveurs sont venus de la France entière et même de l'étranger ?
      "
Notre rôle est de sécuriser les axes routiers et de préserver un accès aux sapeurs-pompiers ", nous explique le capitaine Ignatovitch, qui tente d'entrer en contact avec les organisateurs par l'intermédiaire de John.

Les dilllérences sont gommées

      Il est minuit. La visite guidée commence. Les bottes en caoutchouc, la veste parka, le sweet flanqué de l'incontournable capuche qui tombe sur le visage sont de mise, pour cette nuit underground. John enfile une longue veste. Il y dissimule une barre de fer. On ne sait jamais. Parmi les 15.000 raveurs, il y a les curieux et les trouble-fête, qui n'adhèrent pas du tout au mouvement, mais qui en profitent pour dealer et casser. Entre le barrage des gendarmes et le Technoval, il y a une distance de 800 mètres à parcourir. Il fait nuit noire. La route départementale 12 est transformée en un véritable no man's land. " Méfiez-vous, ici c'est racaille land ", prévient John. Quelques groupes sont munis de torches. Les autres se dirigent au jugé, et à l'oreille. Des centaines de voitures sont garées en file indienne. Parfois, des appels de phares éblouissent les piétons.
      Ça y est. On quitte la terre ferme. Fini le bitume de la D 12. On patauge dans 30 centimètres de gadoue. Les semelles des bottes restent collées dans la boue. On marche comme des zombies, le torse en avant, les jambes écartées pour garder l'équilibre.
      Des tentes illuminées, trente sonos qui diffusent des sons différents, des stroboscopes, des lasers, des feux de camps, on a quitté le monde réel. On franchit une autre dimension, où le monde moderne et ses lasers cohabitent avec le monde tribal, et ses feux de camps.
      Des milliers de jeunes, et moins jeunes, des étudiants, des chômeurs, et des cadres se retrouvent, tous accoutrés de la même façon, sans signes extérieurs de différence, pour partager le même "rave".
      Les pieds enlisés dans le bourbier, comme enchaînés à des boulets, les raveurs semblent reprendre à leur compte le célèbre slogan de mai 68 : "sous les pavés, la plage ". Revu et corrigé version mai 98, cela donne : " sous la boue, la liberté "?
Marie-Laure GUERRIER